♀ ○ take a sad song and make it better

« C’est quoi ? » Ses doigts fins caressent la boite en acajou, vieux modèle d’un étui qu’on se relègue dans la famille, de père en fils, dans un élan stupide du souvenir, travail de mémoire d’une vie qu’il a pas connu, seulement par les récits de son grand-père qui commence doucement à perdre la boule. « Rien. Reposes ça, tu veux. » Elle sourit et ça lui brise le coeur; ses commissures se relèvent et une fossette se dessine, absolument parfaite, à l’endroit même où il se perdait quand, adolescents, sa soeur lui lançait ce sourire goguenard après une énième connerie. « Judith, p’tain. J’t’ai dis de reposer ça. Tu comptes m’aider à finir les cartons où tu vas t’amuser à déballer tout ce que je me suis cassé le cul à foutre dans ces putains de boîtes ? » « Boite à jurons! » Il roule les yeux, menace de lui envoyer une baffe et se retient, soupir comme un gamin qu’on vient de prendre sur le fait et se relève pour attraper le vieux pots à cornichons dans lequel il fourre un billet, rageur. « Tu te rends compte quand même que c’est une arnaque ton truc ? Parce qu’y a que moi qui ait les moyens de le remplir et que le temps que tu te trouves un job, tu te seras tirée de chez moi. » Joe s’arrête, ravale sa salive et croise le regard de l’adolescente, dont le sourire s’évanouit, yeux humides. Merde. La bourde. « Tu me vois déjà partie de chez toi.. » Ses mains passent sur son visage, ses doigts qui grattent doucement sa barbe de trois jours et il lève les yeux au ciel. Bien sûr que non. Parce que ça fait déjà un mois qu’elle est là, qu’elle bouscule ses habitudes, qu’elle l’oblige à modifier ses convictions et à revoir ses préjugés, qu’elle fout le bordel dans son placard habituellement vide, qu’elle remplit son frigo d’autres choses que des bouteilles de bière et un pot de mayonnaise. Bien sûr qu’il veut pas qu’elle parte et ça ne tiendrait qu’à lui, il la menotterait probablement à un radiateur en l’obligeant à rester une éternelle adolescente pour qu’elle ait constamment besoin de lui, le côté creepy pervert en moins. Il hausse les épaules et lui jette un torchon au visage. « Carrément. Et j’espère sincèrement que tu te tireras vite d’ici, que je puisse recommencer à avoir une vie sexuelle. Judith s’enfonce la tête dans un carton en faisant mine de vomir et Joe sourit. Fais pas ta prude! Je t’ai vu à la sortie du bahut, rouler une galoche à un petit merdeux de ton cours de sport! » Ça ne manque pas de faire son effet. Elle relève la tête, regard ahuri, le tient de sa peau qui vire au rouge tomate et elle balbutie, comme prise d’une convulsion. « On devrait peut être mettre des règles en place, non ? » Il se gratte le menton d’une spatule, avant de la jeter dans un énième carton. « La première serait de ne pas me fliquer. » Elle attrape un papier et commence à gribouiller dessus. « La seconde serait probablement de ne pas sortir avec des garçons sans que j’ai mon mot à dire. » Elle plisse les yeux, fais la moue et après quelques minutes à le contredire, ils finissent par se mettre d’accord. Ça l’angoisse et sa poitrine se serre; Judith lui rappelle Melody et si jusqu’ici ça n’est que physiquement, il sait reconnaître les petites points de personnalité qu’il aurait tendance à juger comme héréditaire.